L’aversion pour le risque est une des pierres angulaires d’une théorie appelée "la théorie de la décision" (Bernoulli, 1738 ; Von Neumann et Morgenstern, 1947 ; Pratt, 1964 ; Arrow, 1965) qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il existe en réalité plusieurs théories de l’information et celle qui nous intéresse, c’est celle qui concerne les jeux d’argent au sens large, puisqu’il convient de rappeler que la Bourse, aux dividendes et aux frais de courtage près, est un jeu à somme nulle, quel que soit l’horizon d’investissement considéré.
L’idée générale est la suivante : en matières de jeux d’argent, chaque individu est amené à réaliser des décisions en fonction de son
appréciation propre de son espérance de gain, qui est une fonction du montant du gain possible et de sa probabilité d’occurrence,
et de son espérance de perte, qui est la notion symétrique.
Chacun prend donc des décisions sur la base de ses croyances, de ses préférences et de son analyse de la situation globale dans laquelle il
se trouve, afin de maximiser son "état de satisfaction général",souvent appelé par un terme barbare : la fonction d’utilité.
Cette fonction a eu ses heures de gloire mais elle est aujourd’hui très largement remise en cause car si elle apporte un cadre théorique séduisant,
elle ne permet malheureusement pas d’expliquer les comportements humains observés en pratique.
Pour faire simple et pour fixer les idées, disons que l’aversion au risque mesure la propension d’un individu à prendre des risques.
Dans l’univers qui nous intéresse : à jouer, à parier, à spéculer.
Mais attention : l’aversion au risque d’un même investisseur est très souvent impactée par la position en cours de son trade, et ce n’est qu’un
paramètre parmi bien d’autres.
Aversion au risque ou aversion aux pertes ?
Cette notion ne doit pas être confondue avec ce qu’on appelle l’aversion aux pertes.
L’aversion aux pertes, c’est la peur des individus, leur état de stress face à une perte, en cours de réalisation ou réalisée.
Pour illustrer ce mécanisme, une expérience avait été menée sur des joueurs de poker pour mesurer leur niveau de stress à chaque partie, grâce des
capteurs de température, de pression artérielle etc.
Il a été démontré que le niveau de stress, d’excitation généré par une perte de 100 $ était 2 à 3 fois supérieure à celui généré par un gain de 100 $.
Ceci étant, les deux notions sont intimement liées puisque paradoxalement, c’est en période de pertes que nous sommes prêts à prendre le plus de risques ! Ce comportement totalement irrationnel est surtout observé chez les investisseurs qui font leurs premiers pas en bourse.
Les débutants coupent vite leurs gains et laissent filer leurs pertes, alors que c’est exactement l’inverse qu’il faut faire.
C’est le principal défaut de tout trader et c’est le plus difficile à gommer car prendre rapidement ses pertes, c’est accepter tout aussi
rapidement qu’on s’est trompé de sens.
Le plus dur en Bourse, c’est bien de reconnaître qu’on a tort...
Etes-vous risquophile ou risquophobe ?
La classification entre individus risquophiles (qui aiment la prise de risque) ou risquophobes (qui ont peur de prendre des risques)
n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît car l’appétit des investisseurs dépend de nombreux paramètres que nous allons voir dans le détail.
Au demeurant, il est possible de tirer quelques généralités sur la risquophilie des investisseurs au sens large.
De nombreuses études ont en effet démontrer que les femmes sont moins enclines à prendre des risques financiers. Faut-il pour autant en
conclure que les femmes sont de meilleures gestionnaires ? Il n’y a qu’un pas à franchir, mais pour l’instant aucune étude digne
de ce nom ne s’est penchée sur la question.
Il n’y a donc rien de scientifique dans la formule consacrée "en bon père de famille".
Un placement en "bonne mère de famille" serait tout aussi légitime.
Plus précisément, elle augmente avec le pourcentage de la richesse de l’investisseur.
Car toute somme investie doit être normalisée par rapport au patrimoine de l’investisseur. Investir 10 000 EUR sur une action
peut paraître déraisonnable pour quelqu’un qui dispose d’un total de 50 000 EUR d’économies, mais pour un millionnaire, c’est l’épaisseur d’un trait...
La Française des Jeux et le PMU l’ont d’ailleurs bien compris : la plupart des joueurs joue pour décrocher le gros lot ! Notez bien que l’aversion au risque diminue, et que donc notre propension à jouer augmente, avec la perception des gains associés... tous les artifices sont dès lors permis pour amplifier notre perception. C’est ce qu’on appelle le neuro marketing ou l’art de tromper notre cerveau, notamment dans son estimation bayésienne des probabilités de gains.
Les seniors prennent il plus de risques ?
Il existe une corrélation positive entre l’âge et la proportion d’actifs risqués détenus. Plus les investisseurs sont âgés, plus leur
probabilité de détenir des actifs risqués est élevée.
Les seniors sont ils plus têtes brûlées que les juniors ?
C’est bien ce que de nombreuses études tendent à vérifier.
Les moins de 35 ans détiennent une part significativement plus faible d’actifs risqués que les « 36-49 ans », tandis que les 50 ans
plus en détiennent une part significativement plus importante. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, les individus les plus jeunes
répugneraient à prendre des risques, alors que les plus âgés n’hésiteraient pas à accroître leur prise de risque, au delà de 60 ans notamment.
60 % des actifs financiers seraient détenus par les plus de 60 ans
Cette statistique trouve son explication à travers un double constat : la richesse s’accroît avec l’âge, l’aversion aux risques financiers diminue avec l’âge.
De l’impact du statut professionnel
Excluons tout de suite les étudiants du périmètre de nos considérations, qui n’ont pas encore de véritable statut professionnel, entendons par là une source de revenus stable issue de leur travail.
Le statut professionnel de référence est « salarié du secteur privé », quel que soit le poste et le niveau de rémunération.
Toutes choses égales par ailleurs, il ressort de nombreuses études que les travailleurs indépendants, dont les entrepreneurs, ont une probabilité de détenir des actions, et un pourcentage de leur patrimoine en valeurs mobilières, plus élevés que les salariés du secteur privé. Se mettre à son compte est quelque part révélateur d’une certaine propension à la prise de risque, que l’on retrouve bien dans les choix d’investissements de cette population.
A contrario les salariés du secteur public ont une propension plus faible à détenir des valeurs mobilières, en probabilité et en part du patrimoine financier, que les salariés du secteur privé.
Le père de famille prend-il vraiment moins de risque ?
Qui n’a jamais entendu un site de bourse ou un conseiller vous parler de valeurs, de placements "bon père de famille" comme étant sans risque ?
Le problème c’est qu’en bourse, ça ne veut rien dire, car même les valeurs dites “refuges” n’échappent pas à la débandade en période de sell off,
c’est-à-dire quand tout le monde se met à tout vendre, à tout prix. Le risque est omniprésent, quel que soit le support.
En revanche, l’allusion au “père de famille” est synonyme d’une prise de risque modérée et elle est parfaitement justifiée.
Il apparaît en effet que les célibataires et les couples sans enfants ont une probabilité de détenir des valeurs mobilières, et une part détenue pour les célibataires, plus élevées que les ménages de référence constitués de « couples avec deux enfants ».
Inversement, les couples de trois enfants et plus ont une probabilité plus faible de détenir des valeurs mobilières et une probabilité plus importante de détenir tout leur patrimoine sous forme de liquidités.
En résumé il semblerait que plus un investisseur a une certaine "responsabilité familiale", moins il se montre enclin à prendre des risques financiers.
Influence de la propriété de la résidence principale
Un couple propriétaire de sa résidence principale a-t-il un portefeuille d’actions plus ou moins important et plus ou mois diversifié qu’un couple
locataire, toutes choses égales par ailleurs ?
Vaste sujet sur lequel se sont penchés plusieurs économistes.
Bien que l’étude de l’immobilier sur les choix d’actifs financiers soit un sujet particulièrement complexe, voici quelques grandes conclusions
qui semblent se dessiner.
Il convient tout d’abord de considérer 3 grandes catégories d’investisseurs :
- les locataires : ménages qui paient tous les mois un loyer ;
- les accédants : ménages qui ont acheté leur résidence principale mais qui se sont endettés à ce titre et qui remboursent donc un emprunt immobilier ;
- les propriétaires : ménages qui ont acheté leur résidence principale et qui ont fini de rembourser leur emprunt immobilier.
Il s’avère que les propriétaires, puis les accédants ont une probabilité de détention, et une part détenue en valeurs mobilières, supérieure aux locataires.
Niveau d’information ou niveau d’études ?
Certains auteurs ont avancé que la détention d’actifs risqués est d’autant plus importante que les ménages sont informés, la capacité à obtenir
et à traiter l’information étant approximée par le niveau d’étude, ce qui constitue déjà en soi un première approximation très discutable.
"Toutes choses égales par ailleurs", la probabilité de détenir des valeurs mobilières est plus faible pour les individus ayant un niveau d’étude
inférieur (absence de diplôme, diplôme sanctionnant des études primaires, des études au collège, CAP-BEP).
En revanche, les diplômés de l’enseignement supérieur ont une probabilité de détention de valeurs mobilières supérieure aux bacheliers de
l’enseignement général.
Mais est ce que finalement derrière cette variable ne se cacherait pas la variable "revenus" ?
C’est fort probable...
L’aversion au risque d’un investisseur est un paramètre complexe à estimer, variable dans le temps et dépendant de plusieurs facteurs comme l’âge, les revenus, le statut familial et professionnel etc. Réduire la spécification du risque d’un investisseur à risquophile ou risquophobe est donc trop réducteur. Une échelle visant à quantifier le niveau de risque acceptable par un investisseur a donc été mise en place par les autorités de marché mais rien n’est normalisé ce qui rend, encore aujourd’hui, l’estimation de l’aversion au risque assez floue. La connaissance a priori des risques induits par les produits financiers, quels qu’ils soient, en termes de gains / pertes et sur un horizon de temps donné, reste à notre sens une approche saine et transparente qui devrait se généraliser dans les prochaines années.